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Kant : Connaître : La Critique de la raison pure

La Critique de la raison pure est l’ouvrage majeur de Kant. Son objet est d’examiner les prétentions de l’homme à la connaissance par le moyen de sa seule raison. L’histoire de la philosophie est marquée par l’opposition du dogmatisme et du scepticisme: l’un, absolument confiant en son pouvoir de connaître, l’étend naïvement au plus loin, au transcendant*; l’autre, qui doute et s’en défie, croit son ignorance inévitable. Le criticisme kantien examine en lui-même le pouvoir de connaître, afin d’en déterminer l’étendue; c’est dire qu’il nous importe au plus haut point de savoir ce que nous savons vraiment, comme de savoir pourquoi nous le savons. Puisque mathématique et physique sont entrées dans la voie sûre de la science, qu’est-ce qui fait qu’elles le sont? Kant examine à cet effet les conditions de toute science, dont la pierre de touche est en définitive l’expérience.

1. Qu’est-ce qu’une science?

A. La connaissance scientifique

La science est un ensemble organisé de connaissances. Toute connaissance est composée: ce qui en elle vient de l’expérience est dit «a posteriori»; ce qui n’en vient pas est ce qui est dit «a priori». Par exemple, la physique m’enseigne la nature des corps: je sais a priori, c’est-à-dire indépendamment de toute expérience, que le morceau de craie est étendu dans l’espace; mais je sais a posteriori, c’est-à-dire après expérience, qu’il est soluble dans l’acide chlorhydrique.

Je ne peux jamais être absolument certain d’une connaissance a posteriori: un morceau de craie particulier pourrait tout aussi bien ne pas fondre dans l’acide. Si cela a fonctionné sur tous les morceaux de craie que j’ai immergés dans l’acide jusqu’à présent, cela ne prouve pas qu’il en sera ainsi pour tous obligatoirement: la connaissance a posteriori est contingente et seulement générale.

En revanche, un corps, quel qu’il soit, est toujours dans l’espace, sans quoi il ne serait pas un corps; sa destruction a toujours une cause et des effets, sans quoi elle n’est pas possible. C’est que l’espace ou la causalité sont des connaissances a priori. Seul l’a priori peut procurer universalité et nécessité à un savoir. Les connaissances a priori sont nécessaires et universelles, parce qu’elles sont les conditions mêmes sans lesquelles il n’y a pas d’expérience.

Les deux critères qui font d’une science une science sont l’universalité et la nécessité, donc la part d’a priori que ses connaissances contiennent. En effet, une science de la chute des corps qui ne s’appliquerait qu’à une partie d’entre eux (non universelle), ou dont les connaissances ne seraient pas absolument certaines (non nécessaire), ne serait pas une science.

B. Jugements analytiques et jugements synthétiques

La science énonce des faits par l’intermédiaire de jugements. Un jugement, ou proposition, s’exprime toujours sous la forme «A est B». Ainsi en est-il de toutes les propositions des mathématiques ou de la physique: «7 est un nombre premier», «l’or est un métal», etc. Des jugements comme «la terre attire les corps pesants» peuvent toujours être réduits à la forme «A est B»: «la terre est un objet attirant les corps pesants.» A est appelé sujet, B prédicat, «est» copule du jugement.

Lorsque le prédicat ne fait que développer le contenu de l’idée du sujet, le jugement est dit analytique: c’est qu’il n’étend pas la connaissance du sujet, mais l’explicite ou la développe. Ainsi en va-t-il du jugement «tout corps est dans l’espace», puisqu’un corps qui ne serait pas dans l’espace ne serait pas un corps. Lorsque le prédicat est ajouté au sujet, qui ne le contient pas déjà, le jugement est dit synthétique: il étend la connaissance du sujet. Ainsi en va-t-il du jugement «une balle de tennis et une boule de pétanque tombent à la même vitesse dans le vide».

Le jugement analytique est nécessairement vrai, s’il est logiquement valide. Le jugement synthétique au contraire doit reposer sur une justification. Lorsque le fondement du jugement synthétique est l’expérience, c’est un «jugement synthétique a posteriori»; lorsque son fondement est en deçà du contenu de l’expérience, dans les conditions de celle-ci, c’est un «jugement synthétique a priori». Par exemple, «la pression atmosphérique est plus basse en altitude» est une proposition synthétique a posteriori; «deux droites parallèles à une même troisième sont parallèles entre elles» est une proposition synthétique – elle étend ma connaissance – a priori – je n’ai pas besoin de faire l’expérience de les tracer indéfiniment pour m’assurer que les deux droites ne se rejoindront pas.

Les jugements de la science étendent notre connaissance; pour être scientifiques, ils doivent en outre être universels et nécessaires. Les jugements de la science sont donc synthétiques a priori.

C. La méthode scientifique

L’universalité et la nécessité relient entre elles une multitude de connaissances empiriques* isolées; elles font d’un simple agrégat de connaissances empiriques un système. Toute science est donc système. C’est une idée* de cette science qui en fait l’unité d’ensemble, et la distingue des autres.

L’idée qui préside à ce système détermine le schéma d’ensemble d’une science; on peut ainsi en devancer les progrès sans les réaliser, en marquant de blancs la place de découvertes à venir, comme autant de voies de recherche. Toute découverte est ainsi prévisible, sans être pourtant prévue. Cette idée guide le scientifique dans sa recherche. Pourtant, les résultats du développement d’une science suivent rarement le plan prévu; l’idée de cette science change donc avec certaines découvertes fondamentales, c’est alors une révolution scientifique.

Sur le modèle de la révolution copernicienne, Kant cherche à faire de la philosophie une science. L’idée d’ensemble de la philosophie théorique, c’est désormais d’en faire la connaissance des conditions universelles et nécessaires de l’expérience, c’est-à-dire, en somme, la connaissance, elle-même scientifique, du fondement de la science.

2. Les conditions de la connaissance

A. La sensibilité

Toute chose perçue par les sens extérieurs se place dans l’espace et s’ordonne dans le temps; nous percevons nécessairement toute chose en eux. Cela ne signifie pas qu’elle est elle-même dans l’espace et dans le temps, mais que nous ne pouvons pas ne pas la percevoir ainsi. La nécessité et l’universalité de l’espace et du temps, du moins pour nous, hommes, en rendent possible la science. La mathématique de l’espace est la géométrie; la mathématique du temps est l’arithmétique.

Nous n’avons pas pour autant la connaissance des choses telles qu’elles sont, mais telles qu’elles nous apparaissent seulement, sans qu’on puisse dire si c’est ainsi qu’elles sont en elles-mêmes. La chose en soi demeure inconnue; elle se distingue du phénomène, c’est-à-dire de la chose qui se tient là, telle que je la vois; le phénomène ne se réduit pas non plus à une apparence, puisqu’il est connu en vérité.

B. L’entendement

Un phénomène connu est à la fois senti et compris; si l’esprit humain se contentait de sentir, il ne connaîtrait jamais rien, et le monde serait comparable à une scène incompréhensible, une succession d’images sans aucun sens. C’est par une intuition* que les choses me sont données; c’est par un concept* que je les comprends.

Tout comme il y a des conditions de la sensibilité, sans lesquelles je ne saurais percevoir, il y a des conditions de l’entendement, sans lesquelles je ne saurais comprendre; Kant les appelle «catégories», et en dresse la table exhaustive. Les catégories sont les caractères conceptuels les plus généraux des choses: être une cause, être une substance, exister nécessairement ou seulement actuellement, etc. Elles sont relatives à la connaissance humaine, non aux choses en soi: pourtant c’est bien un savoir objectif qu’elles fondent.

De ces catégories sont tirés les principes les plus généraux de l’expérience, qui fondent une physique nécessaire et universelle: ainsi, le principe selon lequel il y a une infinité de degrés entre l’existence d’un phénomène et sa disparition (chaleur). C’est donc a priori, c’est-à-dire indépendamment de l’expérience, que nous connaissons les conditions de l’expérience; la physique, comme science de l’expérience, s’appuie sur ce qui rend l’expérience possible et qui n’est pas empirique, mais transcendantal*.

C. Les limites de la connaissance

Après avoir déterminé les conditions de la connaissance, Kant est en mesure d’en délimiter le champ; c’est celui de l’expérience humaine. Toute science repose sur l’expérience, non pas seulement dans son contenu, mais dans sa forme ou ses conditions.

Notre connaissance s’étend donc aussi loin que ce qui nous est donné dans l’expérience, c’est-à-dire aussi loin que s’étendent les phénomènes. Pourtant, les choses pourraient bien nous apparaître autrement qu’elles sont en réalité. L’idée de ce qu’une chose est en soi, Kant l’appelle noumène, par opposition au phénomène, qui désigne la chose en tant qu’elle nous apparaît.

Le noumène est ce qu’il nous est interdit de connaître; il nous permet aussi de délimiter à l’inverse tout ce que nous pouvons vraiment connaître. Le criticisme kantien renvoie ainsi dos à dos le dogmatisme et le scepticisme: le premier pense que le phénomène est le noumène, que ce que je perçois de la chose est ce qu’elle est en réalité; le second pense que le phénomène n’est qu’une apparence. Kant affirme seulement que s’il n’y a pas de science des choses en soi, il y a une science des phénomènes.

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