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Rousseau : Les principes de la vie en société

Du contrat social recherche la solution d’un problème politique formulé dans le chapitre VI du livre I: «Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.» Rousseau est donc en quête d’un modèle d’organisation politique; celui-ci doit être aussi efficace que parfait, c’est-à-dire combiner l’utilité et la légitimité, l’intérêt et le droit. L’intérêt de chaque individu suppose que l’association avec les autres lui soit utile; son droit, qu’elle demeure légitime. Unir la force à la liberté: telle est la quadrature du cercle que Rousseau cherche à résoudre.

1. Le pacte social (livre I)

A. Société de droit et sociétés de fait (I, I-IV)

«L’homme est né libre, et partout il est dans les fers». La question qui se pose dans le premier livre du Contrat social est: de quel droit? Il s’agit dans un premier temps d’examiner les réponses traditionnellement apportées à la question des fondements légitimes de la société politique.

Le roi et ses sujets seraient un prolongement du père et des enfants: les seconds doivent obéissance absolue et respect au premier. Cependant, un père commande à ses enfants pour leur bien, un roi pour son bien propre; un père dirige ses enfants tant qu’ils ne sont pas capables de se diriger par eux-mêmes, et les sujets d’un roi ne se complaisent dans leur esclavage que parce qu’on les y a abrutis.

Celui qui commande fonderait son droit sur sa force; certes, c’est bien parce qu’il est le plus fort qu’il commande, mais cela ne fait pas un devoir de lui obéir: il faut distinguer être contraint (par la force) et être obligé (par le devoir). «Force ne fait pas droit», et si la force faisait le droit, il serait légitime de désobéir dès qu’on est le plus fort.

La nature – force ou autorité naturelle – ne donnant aucune légitimité à l’oppression politique, il faut que les hommes soient assujettis à d’autres hommes par convention. Mais qui accepterait de livrer sa personne et ses biens, sa liberté, sans contrepartie? Une société légitime doit être fondée sur une convention, mais cette convention doit rendre l’obéissance avantageuse à tous les contractants.

B. Le contrat social (I, V-IX)

Le fondement d’une société politique n’est pas l’acte par lequel le peuple se donne un chef, mais celui par lequel il se fait peuple. Obéir à un même chef en effet ne fait pas du peuple une unité, mais un agrégat qui se dissout à la mort de celui-ci. C’est par une première convention qu’un ensemble d’hommes décide de vivre ensemble.

Cette convention n’est légitime que dans la mesure où elle est juste pour tous, c’est-à-dire avantageuse à chacun, et souscrite librement. Le contrat social se définit par l’aliénation totale de la force, des biens et de la volonté de chaque individu à la communauté. Puisque chacun en fait de même, personne n’en profite (ce qui serait la tyrannie), et tous demeurent libres; puisque le contrat social pèse sur tous, aucun n’a intérêt à l’alourdir.

En tant que l’ensemble des citoyens ordonne à chacun d’eux en par­ticulier, il se nomme Souverain*, et ses ordres sont absolus; en tant que l’ensemble de la société obéit au souverain, il s’appelle État*. Le Souverain n’est donc pas l’individu qui détient le pouvoir, mais l’assemblée entière des citoyens dans la mesure où ses décisions sont irrévocables. Le Souverain, composé des particuliers, protège chacun d’eux de toute sa force; si en revanche un citoyen suit son intérêt particulier contre l’intérêt général, le Souverain a tout pouvoir sur lui pour le «forcer d’être libre». Seule la fondation du contrat social nécessite l’unanimité des citoyens; une simple majorité suffit pour les actes législatifs, et entraîne la minorité qui s’oppose.

En détruisant la liberté naturelle, le contrat social fait naître la liberté civile; à partir de ce moment seulement, les actes de l’homme ont une signification morale.

2. Les lois (livre II)

A. Le Souverain (II, I-V)

Le Souverain dirige l’État selon la volonté générale, c’est-à-dire en fonction de l’intérêt commun des sujets. L’intérêt commun est le «point dans lequel tous les intérêts s’accordent»; c’est un fait rare et peu durable qu’une volonté particulière coïncide avec la volonté générale. La souveraineté est inaliénable.

Le pouvoir du Souverain ne peut être décomposé: il n’y a pas distinction des pouvoirs, tous émanent au contraire de la même source. L’exécutif, le pouvoir de traiter avec une puissance étrangère, la levée des impôts, l’application de la justice ne sont pas des pouvoirs propres, mais dérivent de la seule puissance de poser les lois, qui ne revient qu’au souverain. La souveraineté est indivisible.

La volonté générale n’est pas la volonté de tous: la seconde est la sommation des intérêts particuliers, la première l’annulation de leurs oppositions réciproques. La volonté générale est le résultat de la soustraction des volontés particulières: elle ne porte que sur l’État en son entier, jamais sur des cas particuliers. Les bornes du Souverain arrêtent son pouvoir à la sphère de l’universel.

B. Les législations (II, VI-XII)

La volonté du Souverain ne s’exprime que par lois. Ces lois sont conventionnelles et fixent le droit humain en société; elles sont distinctes à la fois des justices divine et naturelle (de la raison humaine). La loi de l’État est portée par tout le peuple, statuant sur tout le peuple; elle ne considère jamais les personnes concrètes, mais toujours des catégories de personnes. L’ordre d’un chef d’État, qui porte sur un individu ou une situation particulière, n’est donc pas une loi mais un décret.

Seul le peuple est l’auteur légitime des lois; comme il peut errer, sa volonté doit être éclairée par l’esprit d’un grand législateur, qui le convainque ni par raisonnements (que le peuple n’entend pas) ni par violence. «Il faudrait des Dieux pour donner des lois aux hommes», dit Rousseau, dieux dont l’habileté persuasive consistera à dénaturer les hommes à un point tel qu’ils puissent vivre en société.

Les deux piliers de tout bon système de législation sont la liberté et l’égalité. L’égalité soutient la liberté, au sens où elle ne doit pas être stricte en fortunes, mais telle qu’aucun citoyen ne soit en mesure d’en acheter un autre: la force naturelle des choses tendant à détruire l’égalité, la force conventionnelle de la législation doit tendre à la maintenir. L’œuvre visible du législateur porte sur les lois écrites et énoncées, mais en réalité tend en secret à réformer les mœurs, les coutumes et l’opinion: car c’est la catégorie de lois qui forme la clé de voûte du système législatif.

Les mœurs et l’opinion publique forment les lois fondamentales du corps social. Les lois de législation créent les mœurs, et les mœurs créent l’opinion publique; tant que l’opinion publique est droite, le corps social est en bonne santé.

Dans l’Antiquité, la religion se confondait avec la politique, la morale théologique avec les mœurs de la nation et les lois de l’État: chaque peuple, chaque cité avait son dieu. À présent, dit Rousseau, il y a deux souverains, deux cités en une: celle de Dieu, celle des hommes.

3. Les gouvernements (livre III)

A. Les formes de gouvernement (III, I-VII)

Comme l’homme, le corps politique est animé d’une volonté, la puissance législative, et de la force politique pour la servir, la puissance exécutive. L’exercice de cette dernière doit être assuré légitimement par le gouvernement*, qui peut aussi bien être monarchique qu’aristocratique ou démocratique. Il y a gouvernement démocratique lorsque la totalité, ou la majorité, du corps politique participe à la puissance exécutive; il y a gouvernement aristocratique lorsqu’elle est confiée à quelques-uns, et gouvernement monarchique lorsqu’elle est confiée à un seul. La démocratie n’est donc pas pour Rousseau ce qu’elle est pour nous.

«S’il y avait un peuple de Dieux, dit Rousseau, il se gouvernerait démocratiquement. Un Gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.»

B. La mort du contrat social (III, VIII-XVIII)

Comme le corps animal, le corps social vit et meurt. Il ne saurait durer éternellement. Si des causes extérieures n’ont pas raison de lui, l’usure interne finira par le détruire.

La pente naturelle du gouvernement est de se substituer au souverain: «vice inhérent et inévitable» qui entraîne, tôt ou tard, la mort du corps politique ou anarchie. La démocratie dégénère en ochlocratie (gouvernement de la populace), l’aristocratie en oligarchie (gouvernement des plus riches). La monarchie dégénère en tyrannie (usurpation de l’autorité gouvernementale) ou en despotisme (usurpation de l’autorité souveraine).

Puisque la mort du corps politique est inévitable, il faut chercher à la retarder le plus possible, c’est-à-dire à préserver le plus longtemps possible l’autorité souveraine, ou pouvoir législatif. Le meilleur moyen est d’organiser des rencontres périodiques du peuple en sa totalité, qui suspendent l’autorité du pouvoir gouvernemental.

La mort du corps politique est l’effet d’une domination des affaires privées sur les affaires publiques. Avec le désintérêt pour les affaires publiques vient l’institution des députés: représentants du peuple, ils en usurpent la souveraineté, s’ils décident d’eux-mêmes au nom de la volonté générale. Après l’institution du gouvernement, acte singulier de puissance exécutive du Souverain, où le corps social se fait temporairement démocratie, les affaires ne doivent pas rester aux mains du seul gouvernement.

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