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Machiavel : Machiavel est-il machiavélique ?

Au sens courant, le machiavélisme consiste à jouer, la fin justifiant les moyens, la politique contre la morale. La réflexion de Machiavel est autre, et le problème qu'il pose dans Le Prince est celui du pouvoir considéré exclusivement au regard de ses exigences propres, non subordonné à autre chose: quelles sont les conditions sine qua non d’un pouvoir politique efficace et durable? Amorale mais non immorale, sa pertinence est de «se conformer à la vérité effective de la chose, [non] aux imaginations qu’on s’en fait».

1. La fortune et le talent

A. La maîtrise des événements

Le Prince est le chef d’un État. Il acquiert le pouvoir ou s’y maintient par fortune* ou par talent*. Plus la fortune favorise le pouvoir du Prince, moins il a besoin pour s’y maintenir du talent; mais plus il a du talent, moins il est soumis aux défaveurs de la fortune. Il est donc plus certain de s’appuyer sur le talent que sur la fortune, même si la fortune doit fournir son occasion au talent.

La fortune ne se réduit pas au hasard, il y a un «ordre des choses». Il y a comme une physique de la politique, un jeu des forces que l’expérience enseigne. La précocité du discernement prévient la plupart des revers de fortune, et dès que chacun les voit, il est trop tard.

Les événements de la fortune sont presque nécessaires. Le talent consiste à maîtriser la fortune, tant que cela est possible: elle est comme un fleuve, il faut à la fois savoir en détourner le cours furieux lorsqu’il se déchaîne, et en préparer les digues tant qu’il est paisible.

B. L’exercice du pouvoir

Puisque la fortune recouvre surtout les aléas du peuple, c’est lui que le Prince doit avant tout prévoir et maîtriser. Cependant, le pouvoir ne consiste pas en une maîtrise autoritaire et totale, mais plutôt en une fine et souple maîtrise que l’on trouve dans la connaissance de ce que l’on gouverne. Le Prince doit avant tout maîtriser le temps et savoir, ni temporisateur, ni impétueux, saisir l’occasion propice.

Le but premier du pouvoir est, par essence, de se conserver perpétuellement, car y voir un terme serait de l’impuissance. Seul celui qui l’exerce bien y trouve «puissance, sûreté, honneur et succès»; le succès est atteint lorsque le pays est «unifié, réduit en paix et fidélité».

Le pouvoir n’est pas durable s’il consiste à opprimer le peuple pour en tirer avantage: sa propre conservation exige sa modération. Le vrai pouvoir du Prince est de ne jamais s’obstiner dans une attitude, mais toujours d’adopter celle qui convient au visage présent de la fortune: le Prince ne doit pas laisser gouverner son caractère, mais doit d’abord se gouverner lui-même.

2. La politique et la morale

A. Le renom du Prince

Ce qui compte pour le pouvoir n’est guère ce qui est vrai du Prince, mais ce que les gens pensent qui est vrai de lui: le renom est le premier instrument du pouvoir pour le Prince.

L’important, pour le Prince, est de ne paraître que ce qu’il lui faut paraître, non nécessairement ce qu’il est. S’il est cruel par tempérament, et demeure cruel lorsque la fortune exige qu’il soit clément, il va au-devant de la perte du pouvoir. À l’inverse, s’il se montre, contre son tempérament, cruel lorsqu’il le faut, il s’épargne la perte du pouvoir et bien des cruautés à venir.

Le Prince se maintient au pouvoir s’il n’est ni méprisé ni haï. Pour ce faire, il peut indifféremment être aimé ou craint. Si la morale exige invariablement qu’il cherche à se faire aimer, la politique le fait passer au gré des circonstances de l’amour à la crainte.

B. La politique échappe-t-elle à la morale?

L’acte abominable n’est commis que par contrainte par celui qui s’attache à l’exercice du pouvoir: il peut le faire gagner, mais il n’est ni glorieux ni méritoire. Il n’est pas commis par penchant, mais par nécessité pour conserver le pouvoir.

Être bon dans un monde de gens mauvais, c’est l’assurance d’être détruit. L’exigence propre du pouvoir, se maintenir, contraint à faire un usage approprié du mal. La politique a ses exigences propres, et fait de la morale un moyen, au même titre que la morale cherche à faire de la politique un moyen. La politique ne se confond pas avec le mal, mais elle y recourt parfois; et ce n’est pas faire le mal pour le bien – la fin ne justifie pas les moyens –, mais c’est bien agir comme le pouvoir l’exige.

Parce que l’homme est imparfait, le pouvoir est nécessaire. Parce que le pouvoir est nécessaire, commettre le mal l’est aussi. Si la religion régnait, les hommes n’auraient pas besoin de politique.

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