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Heidegger : La question de l'être

«Seul de tout l’étant, l’homme éprouve, appelé par la voix de l’être, la merveille des merveilles : que l’étant est.» (Qu’est-ce que la métaphysique?)

1. Approche de la question de l’être

A. La différence ontologique

Voici une pierre, un papillon, un homme. Tous les trois sont des êtres. Pourquoi? Parce que tous, en deçà de leurs définitions respectives, exercent une activité identique: exister. Heidegger les appelle des «étants», car ils participent à l’acte d’être (ou d’exister), comme on dit que les vivants participent à l’acte de vivre. Mais de même que chaque vivant n’est pas la vie, de même chaque étant n’est pas l’être.

L’être n’est pas quelque chose qui existe, mais l’existence elle-même, par quoi tout ce qui existe – tout comme la lumière, par exemple, n’est pas un objet éclairé, mais ce qui éclaire toutes choses et nous les rend visibles. Être un étant, c’est participer d’une manière à chaque fois singulière à cette activité.

Le plus souvent, l’être demeure inaperçu: absorbés par les choses elles-mêmes, nous nous intéressons à ce qu’elles sont, mais nous ne prêtons pas attention au fait que les choses sont. L’être, nous l’avons vu, est analogue à la lumière: attentifs seulement aux formes et aux couleurs, nous ne voyons pas, ou plutôt nous ne remarquons pas la lumière qui les rend visibles. De même, captivés par les étants, nous oublions l’être qui leur donne à tous d’être présents.

Notons que l’être ainsi entendu (comme présence) n’est pas un simple mot qui cacherait une abstraction: tous les étants partagent bel et bien un acte de même nature qu’ils ne se sont pas donné à eux-mêmes; aucun étant ne s’est lui-même amené à l’existence (cf. fiche 77, dans «Quelques défi­nitions»). Gratuit, indéductible, «sans pourquoi», l’être est un don.

B. La métaphysique

Celui qui, un jour, se tourne vers l’être et s’étonne que les choses soient, celui-là entre en métaphysique*. Il pose la question: «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?» Non pas «pourquoi ceci plutôt que cela», mais «pourquoi quelque chose?»

La métaphysique se lance ainsi dans la quête du fondement ultime de tout ce qui est. Mais dans cette recherche elle est, selon Heidegger, oublieuse de la distinction entre l’être et l’étant, car elle se rabat sur un étant suprême, qui serait la cause de l’être (l’idée chez Platon, la substance chez Aristote, Dieu conçu comme un étant nécessaire, etc.). C’est contradictoire – un peu comme si, pour expliquer la visibilité des choses, on se bornait à chercher un objet super-éclairé qui refléterait beaucoup de lumière sur les autres, alors qu’il faut se tourner vers la lumière elle-même. Tout comme la source première de lumière ne peut pas être un objet qui la reflète, la source première de l’être ne peut pas être un étant qui participe à l’être.

2. L’être et le temps

L’être, nous l’avons déjà suggéré, est interprété à partir de l’idée de présence. Être, c’est être présent, c’est-à-dire coïncider avec notre présent vécu. Ce qui est, c’est ce qui se donne à sentir, à percevoir, à comprendre dans le temps* présent.

De l’équivalence entre l’être et la présence, la métaphysique déduit que ce qui est suprêmement doit aussi être suprêmement présent, c’est-à-dire éternel: l’éternité est en effet un présent parfait, sans passage ni changement, un maintenant stable, bref une pure présence, caractéristique d’un pur être. Ainsi la métaphysique tente-t-elle de s’affranchir du temps.

Heidegger détruit cet édifice métaphysique en faisant remarquer que l’idée d’éternité est élaborée à partir d’une conception fausse du présent: celle qui consiste à dire que le présent est un instant ponctuel, isolé du flux temporel. Le présent réel n’est pas un point, toute présence vécue occupe une certaine durée, donc unit en elle les trois dimensions du temps (passé, présent, futur). Il est illusoire de concevoir comme présent suprême ce qui ne comporte aucun changement, puisqu’il est essentiel à toute présence réelle de comporter les trois dimensions temporelles.

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